La jeune fille du rang by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature; Romans historiques
Éditeur: Guy Saint-Jean Editeur
Publié: 2018-03-15T00:00:00+00:00

Françoise a demandé à ses parents de la rejoindre dans le grand salon. Elle veut leur annoncer la nouvelle dans la pièce la plus sombre de la maison, la moins habitée, celle-là même où Léopold a fait la grande demande à son père. Ce matin, après avoir brûlé la boîte et réduit son contenu à un tas de cendres – les funérailles de ses fiançailles –, elle s’est sentie prête pour l’affrontement. La jeune fille accueille solennellement ses parents, les fait asseoir côte à côte sur le divan, leur offre une tasse de thé. Victoria lève de grands yeux inquiets vers sa fille.

— T’es ben cérémonieuse, mon doux Jésus! Vas-tu nous dire pourquoi cé faire, toutes ces simagrées-là?

Françoise sait que sa mère va pleurer, se répandre en gémissements, peut-être même la maudire, elle connaît suffisamment son sens du drame pour s’y attendre. C’est la réaction de son père qu’elle craint. L’angoisse lui tord le ventre, mais il est trop tard pour reculer.

— Chuis enceinte.

Un silence de plomb accueille ses paroles. Sur le divan, ses parents semblent transformés en statues de sel. Françoise n’entend que les cognements sourds de son cœur.

— De Léopold.

La précision est de trop. En entendant ce prénom, son père explose:

— C’t’enfant de chienne-là! Si j’y mets le grappin dessus, j’le tue de mes propres mains!

Françoise esquisse un mouvement pour s’approcher, mais le regard paternel la cloue sur place. Elle porte les mains à ses joues en feu, submergée par un violent désir de disparaître. Armand reprend, d’une voix glaciale.

— J’pensais que t’avais plusse de jugeote, ma fille. En té cas, t’avais l’habitude d’en avoir, avant que c’t’enfant de chienne-là…

— Popa, non!

— Tu vas pas l’défendre, toujours? Dis-moi pas que t’as encore des sentiments pour c’te…

Sous le regard incandescent de son père, Françoise se sent horriblement nue. Du coin de l’œil, elle voit sa mère se lever et se diriger vers la porte. Au moment de sortir, Victoria s’immobilise et lance, sans se retourner:

— Tu peux pas rester icitte. Ni dans maison, ni au village, ni dans paroisse. T’es un vrai déshonneur, ma fille. Tu jettes la honte sur toute ta famille, tu méprises le nom de ton père. Je veux pus te voir.

Après son départ, les mots flottent longtemps dans la pièce. Françoise tremble tant qu’elle a besoin de s’asseoir. Par réflexe, Armand lui tend un bras secourable.

— Elle avait pas besoin de…

— J’te défends de dire un mot contre ta mère, tu serais ben mal venue. Elle a raison pis tu le sais, tu peux pas rester au village. On va digérer la nouvelle pis jongler à notre affaire.

— J’pourrais peut-être…

— Tu pourras rien pantoute, tonne son père. À partir de tu suite, tu vas faire ce qu’on te dit. J’t’ai laissé trop de lousse, on voit ce que ça a donné… Astheure, monte dans ta chambre, t’en as assez faite pour aujourd’hui.

Françoise passe devant lui, la tête basse. Armand ébauche un geste vers elle, mais elle est déjà sortie. «Ma pauv’tite fille, c’est don pas ça que je voulais pour toé…», murmure-t-il.

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